Namaste,
Pas de mail la semaine dernière, version light cette semaine, je suis sans un tunnel pro et associatif qui fait que je n’arrive pas à dégager le temps nécessaire à faire la synthèse de ma veille. Il y a beaucoup d’infos à traiter. La semaine prochaine devrait redevenir dans les normes, mais, ce week-end, je veux te parler d’une actu : le bac de philo.
🌱 Avant d’aller plus loin, si on t’a fait passer ce mail ou que tu es nouveau / nouvelle, je suis Philippe. Végan depuis presque 10 ans, à l’évolution du climat et depuis bien plus longtemps. J’essaie, dans cette newsletter, de faire une petite veille écolo avec un prisme sentientiste, c'est-à-dire une écologie sentiocentrée. Je te l’envoie autour du samedi. 🐾
Mercredi, tu as dû le noter, les lycéens et lycéennes en terminale passaient l’épreuve de philosophie. Dans la filière technologique, un des sujets était :
Transformer la nature, est-ce gagner en liberté ?
Le sujet pouvait être intéressant. La Terre est entrée dans l’anthropocène et les humains ont transformé de manière irrémédiable son climat. Gagnons-nous en liberté lorsque les forêts brûlent, que les images de New-York semblent sorties d’un film de science-fiction apocalyptique, qu’il est déconseillé de respirer l’air à l’extérieur de son domicile ?
Je pensais, naïvement, que le contexte de crises écologiques, où l’on s’aperçoit concrètement des conséquences du spécisme généralisé sur nous-même, pourraient remettre en cause les bases de notre pensée. Mais, ce n’est pas le cas.
Le sujet enferme dans une conception dépassée, celle de l’existence même de la nature, à la fois distincte des humains et où les humains sont inclus. Un chat domestiqué ne serait pas dans la nature, pas plus qu’un cochon, mais un lion le serait, sauf, s’il est dans un zoo, mais on lui demande d’agir de manière “naturelle”, mais pas trop quand même. Il ne faudrait pas qu’il mange les visiteurs humains ou les prisonniers d’autres espèces. Parler de nature, c’est déjà se mettre dans une position. Et puis, qui gagne en liberté ? Est-ce seulement des individus déjà libres ?
Les humains transforment des matériaux, leur environnement, mais ils ne sont pas les seuls. Les taupes, les fourmis, les abeilles, les renards, les castors construisent aussi, que ce soient des galeries, des colonies ou des barrages. La liste n’est pas limitative quant aux espèces !
Est-ce qu’un chat qui ouvre une porte, et donc transforme son environnement pour accéder à d’autres espaces, est plus libre ou bien considère-t-on qu’il ne fait pas partie de la “nature”, que la porte non plus ? Faut-il se baser, pour différencier la nature du synthétique, sur le fait qu’un objet soit construit ? Dans ce cas, si un humain se met à utiliser la cire d’une ruche qu’une colonie d’abeilles a construit, cela ne peut pas être considéré comme la transformation de quelque chose de “naturel”, pré-existant à toute transformation.
Mais, j’ai été voir le corrigé proposé par Philosophie Magazine. Il est fait appel à Descartes : “Pour reprendre une célèbre formule de Descartes, grâce à la science et la technique, l’homme devient au fur et à mesure « comme maître et possesseur de la nature ».” Et merde !, me suis-je dit. On manque de philosophes sentientistes. Si on ne parle que des humains, on biaise déjà la question.
Le prof de philosophie, Mathias Roux, qui a écrit ce corrigé, aborde bien le changement climatique, mais pour montrer l’apparition d’une nouvelle servitude humaine, l’économie : “Les difficultés à enrayer le processus de réchauffement climatique montrent que l’innovation technologique obéit à la logique incontrôlée de la croissance économique.” Il s’agirait alors d’établir une relation avec la “nature”, de l’écouter.
Sauf que.
Si je monte une barrière dans un pré, on voit bien que je vais transformer un pré en enclos. Je transforme mais je vais, de ce fait, réduire la liberté de mouvement d’autres personnes. De qui faut-il prendre en compte la liberté ? La mienne comme individu ? Celles des autres humains ? Celle aussi des individus non-humains ? Si la liberté des uns s’arrête où commence celle des autres, où dois-je arrêter de vouloir transformer les éléments ? L’objectif des transformations ne devraient-ils pas alors de vouloir rendre plus libre tous les individus, pour que la liberté de chacun soit garante de la liberté de tous ?
Je voulais faire court, mais cette question philo me semblait avoir un lien avec les mails que je t’écris. Il me paraissait important de dire qu’il faut aussi que nous arrivions à déconstruire les bases philosophiques que nous utilisons. Si la question est biaisée, la réponse le sera aussi, non ?
Juste un dernier mot, et je te laisse, pour te dire que la consultation sur le classement des animaux nuisibles a commencé et se déroule jusqu’au 6 juillet. Certains humains un peu trop cartésiens veulent bien gagner en liberté en transformant la nature, mais pas que ladite nature gagne en liberté en transformant ses cultures. C'est le moment de dire non ! Plus d’informations chez la LPO.
Passe un bon week-end !
Philippe
📷 Une fourmilière prise par Hans (Pixabay).